Et le lundi 13 novembre, 70 élèves de CM2 des écoles Georges-Politzer et Malet-Isaac accompagnés de leurs enseignants et parents, se sont réunis pour une lecture commémorative de l’Armistice de 1918 devant le Monument aux Morts. Saluons cette belle initiative au nom du devoir de mémoire.
Conseil Municipal des Enfants
« La lettre »
Lecture par Lina ZEROUALI
A la lueur d’une bougie
Je t’écris ces quelques mots
Ces quelques mots pour dire qu’ici
On monte au front c’est pour bientôt
Mais ne t’inquiètes pas pour moi
J’ai la santé juste de l’ennui
Courage, confiance, priez pour moi
Nous serons bientôt réunis
C’est de la tranchée que j’écris
Je n’ai pas une minute à moi
Alors comment vont les petits
Toujours sans nouvelles de toi
Surtout écris moi tous les jours
J’ai des heures de nostalgie
Le danger m’effraye à mon tour
Y’a- t-il encore des jours des nuits
Je joins quelques photographies
Celle du soldat sous le pommier
Pourrait faire oublier qu’ici
Nos joies de gosse sont envolées
J’espère quand même que mon étoile
Me fera revenir au monde
Que tout ne finira pas mal
Dans cette boue, cette guerre immonde
Didier Venturini 2009
L’innoubliable
Lecture par Siwane SADIAKHOU, Anouk DANDJA, Sarah CANOT
C’est l’heure. Un lourd silence étalé sur la plaine.
Des hommes dans un trou attendent, l’arme au poing.
L’armistice, la fin ? — Ces gars y croient à peine,
L’avenir et la paix leur paraissent trop loin.
On ne se battrait plus ? Quatre longues années
Peuvent-elles finir en un jour, sans effort ?
La guerre écrase encor leur vie emprisonnée
Quand le destin fait grâce et repousse la mort.
Mais des clairons là-bas sonnent… c’est la retraite !
Des cloches ?… c’est le bourg à peine délivré.
Une angoisse inconnue fait se courber les têtes,
Les cœurs sont trop petits pour cet instant sacré.
Des larmes ont brillé sous toutes les paupières,
La joie et la douleur se tiennent par la main.
Ces larmes, je le jure, ont été les premières,
Et coulaient du désir dont l’esprit était plein.
Tu te croyais un homme et voilà que tu pleures,
Lazare inconscient tiré d’entre les morts.
Cette heure soit bénie entre toutes les heures
Qui a brisé la guerre et vu frémir les forts.
Sais-tu, clairon, ce que tu sonnes ? C’est la vie,
C’est l’espoir éveillant la triste humanité.
Frères, embrassez-vous, car la guerre est finie,
Paix sur la terre à ceux de bonne volonté.
Avant de dépouiller la défroque de guerre,
Nous irons vers nos morts semés comme le grain,
Nos copains de douleur, nos compagnons, nos frères,
Les pas chançards qui sont partis avant la fin.
Il ne faut pas surtout ceux-là qu’on les oublie :
Tous, les gens de l’arrière et les gens de l’avant,
Faites place en vous-même à ces pâles hosties,
Ce sera toujours peu que d’y songer souvent.
Nous ? Qu’importe ! Qui s’occupera de nous autres,
Ces gibiers à canon que leur chance a sauvés ?
Dans le monde oublieux de ses anciens apôtres
Nous reprendrons sans bruit l’ouvrage inachevé.
La vie sera pour nous, peut-être, tutélaire.
Nous n’en voulons qu’un peu de douceur et d’amour.
Après avoir donné la justice à la terre,
Nous la voulons à notre tour.
L’adversité sur nous trouvera moins de prise ;
Nous serons patients, forts de l’avoir été ;
Nous haïrons les sots, les mufles, la bêtise ;
Nous haïrons surtout la guerre, sans pitié.
Mais, vieillis avant l’âge, une épaisse fatigue
Nous posera longtemps sa griffe sur les reins.
Puisse notre énergie depuis qu’on la prodigue
Avoir assez d’élan pour nous remettre en train.
Car ce serait, mon Dieu, une peine infinie
Que d’avoir tout donné sans avoir retenu
Un peu de cette ardeur nécessaire à la vie
Et de se sentir lâche auprès de l’inconnu.
Sonne, clairon, ce qui finit, ce qui commence ;
Leur pensée rend pareils les vainqueurs aux vaincus.
Clairon, sonne et tais-toi. Jusqu’à cette heure immense
Nous voulons oublier que nous avons vécu.
Et demain, grâce au temps colporteur d’espérance,
Nous n’aurons plus — si nous savons devenir vieux —
Qu’un souvenir confus de la grande souffrance,
Ce qui reste au matin d’un rêve ténébreux.
Henry-Jacques, La symphonie héroïque, Les Belles Lettres, 1921
Collège Ariane
Lecture par Candice, Thiméo, Léa et Julia
Aujourd’hui, 11 novembre 2023, nous rendons hommage à ceux qui sont morts pour notre liberté. Des millions de soldats ont perdu la vie pendant la guerre … et les guerres.
En 1914, Pierre Aubier dit Robert Desnos a 14 ans. Lors de la 2e guerre, il rejoindra la résistance, sera arrêté en 1944 et déporté. Il meurt le 8 juin 1945 du typhus à Terezin.
Voici son poème intitulé « ce cœur qui haïssait la guerre… »
Ce cœur qui haïssait la guerre voilà qu’il bat pour le combat et la bataille !
Ce cœur qui ne battait qu’au rythme des marées, 3 à celui des saisons, 4 à celui des heures du jour et de la nuit,
Voilà qu’il se gonfle et qu’il envoie dans les veines un sang brûlant de salpêtre et de haine.
Et qu’il mène un tel bruit dans la cervelle que les oreilles en sifflent
Et qu’il n’est pas possible que ce bruit ne se répande pas dans la ville et la campagne
Comme le son d’une cloche appelant à l’émeute et au combat.
Écoutez, je l’entends qui me revient renvoyé par les échos.
Mais non, c’est le bruit d’autres cœurs, de millions d’autres cœurs battant comme le mien à travers la France.
Ils battent au même rythme pour la même besogne tous ces cœurs,
Leur bruit est celui de la mer à l’assaut des falaises
Et tout ce sang porte dans des millions de cervelles un même mot d’ordre :
Révolte contre Hitler et mort à ses partisans !
Pourtant ce cœur haïssait la guerre et battait au rythme des saisons,
Mais un seul mot : Liberté a suffi à réveiller les vieilles colères
Et des millions de Français se préparent dans l’ombre à la besogne que l’aube proche leur imposera.
Car ces cœurs qui haïssaient la guerre 3 battaient pour la liberté 4 au rythme même des saisons et des marées, E du jour et de la nuit.
Pour ceux morts trop tôt, nous voulons lire leurs mots :
Lettre d’Eugène-Emmanuel Lemercier à sa mère, 22 février 1915
Lecture par Maïssa
« Tu ne peux savoir, ma mère aimée, ce que l’homme peut faire contre l’homme. Voici cinq jours que mes souliers sont gras de cervelles humaines, que j’écrase des thorax, que je rencontre des entrailles. Les hommes mangent le peu qu’ils ont, accotés à des c adavres. Le régiment a été héroïque : nous n’avons plus »
Extrait d’une carte à isabelle
Lecture par Eric
26 novembre 1916.
Ma chérie, je n’ai pas eu de / lettre aujourd’hui mais ce n’est pas ta faute. / Il pleut toujours, nos tranchées s’écroulent de / partout. On est de plus en plus dans le bourbier. / J’ai eu assez de veine pour mon travail qui / a été aujourd’hui tôt expéd ié à cause des / autos rencontrés par hasard sur ma route. Ce / qui fait que j’aurais du temps pour t’écrire / longuement si jamais un luminaire quelconque / au fond de mon gourbi, mais je suis obligé / de me blottir en pénitence dans un petit coin / à la lueur d’une chandelle qui tire à sa
fin /… »
Lettre de Maurice Genevoix, 1915
Lecture par Maïssa
« Cette guerre est ignoble : j’ai été, pendant quatre jours, souillé de terre, de sang, de cervelle. J’ai reçu à travers la figure un paquet d’entrailles, et sur la main une langue, à quoi l’arrière gorge pendait… (…) Je suis écœuré, saoul d’horreur. » Citée dans Les Eparges ( Ceux de 14 (1949), Flammarion, 1990, p. 614.
Lettre d’Eugéne , Le 30 mai 1917
Lecture par Amadou
Léonie chérie
J’ai confié cette dernière lettre à des mains amies en espérant qu’elle t’arrive un jour afin que tu saches la vérité et parce que je veux aujourd’hui témoigner de l’horreur de cette guerre.
Quand nous sommes arrivés ici, la plaine était magnifique. Aujourd’hui, les rives de l’Aisne ressemblent au pays de la mort. La terre est bouleversée, brûlée. Le paysage n’est plus que champ de ruines. Nous sommes dans les tranchées de première ligne. En p lus des balles, des bombes, des barbelés, c’est la guerre des mines avec la perspective de sauter à tout moment. Nous s ommes sales, nos frusques sont en lambeaux. Nous pataugeons dans la boue, une boue de glaise, épaisse, collante dont il est impossible de se débarrasser. Les tranchées s’écroulent sous les obus et mettent à jour des corps, des ossements et des crânes, l’od eur est pestilentielle.
Tout manque : l’eau, les latrines, la soupe. Nous sommes mal ravitaillés, la galetouse est bien vide !
Lecture par Jade
Je pense à celle qui a vu partir au front son père et ses frères je pense à ces femmes parties soigner les blessés je pense à la fiancée qui ne reverra pas son bien-aimé je pense à la mère qui n’embrassera plus son fils je pense à celle devenue trop tôt veuve couvant son nourrisson Pourquoi ces guerres qui tuent des pères Pourquoi ces guerres qui tuent des frères Le chagrin dresse les murs d’une prison
Alors comme l’a écrit Gaël Faye
Lecture par Maïssa
« Liberté est un mot qui se crie
Tuez nous que les poèmes s’écrivent
Qu’ils remplissent de nos noms tous vos livres
Dans la moiteur des nuits et les matins de givre
Que les peintres nous rendent la vie
Sur les mers de l’oubli qu’ils dessinent des navires
Tuez nous qu’on invente des chants
Les générations à venir feront de n ous des martyrs.
Debout, digne, digne et debout
Des silhouettes se dessinent et se souviennent de nous
Des hommes géants, sortent du néant
De la blessure du monde et de son trou béant
Des ombres au tableau, des sorcières à Salem
Redoutable, comme une seule femme se lèvent
La liberté est une formule magique
Pour nos cœurs détenus dans des cages thoraciques »
Requiem pour une ville perdue
Lecture par Lyna
Car la première guerre mondiale n’a pas été la DER des DER, nous voulons rendre hommage à tous ceux et toutes celles qui se battent pour défendre les droits humains. Et je veux vous lire ce poème de Aslı Erdoğan arrêtée pour avoir défendue ses idées en Turquie, elle se retrouve emprisonnée.
Je suis assise, immobile, seule face à face avec moi-même en cette heure noire. La tête en arrière basculée. Je respire profondément, comme dans le sommeil. Aux mots seuls la nuit offre un passage. Aux mots mâtinés de ténèbres. Mais lequel d’entre eux peut me sauver du temps ? J’ouvre les yeux. Le plafond blanc, froid, sourd, me regarde, il me fixe, et dans son mutisme, raconte tout ce qui peut être raconté. Il est de ces instants, tu les connais, où un silence effrayant soudain t’écrase, comme lorsqu’un musicien s’arrête de jouer au milieu d’un morceau, ou qu’un arbre est sur le point de tomber. Voilà un tel instant. Où le monde attend en retenant son souffle…Lui aussi peut-être a ouvert les yeux, et de terreur
brusquement s’est figé, comme au bord d’un précipice ou devant un miroir… Voilà le silence effrayant que nous avons traversé et auquel nous revenons. Le Temps fera taire chacun et toute chose.
© Extrait de Requiem pour une ville perdue, Actes Sud, 2020, traduction du turc par Julien Lapeyre de Cabanes